Nous avons le plaisir d’accueillir les conseils et le témoignage du Lieutenant-colonel Joseph, pompier professionnel, sur les notions de gestion des conflits et et de la violence.
« Bien formés on peut dans la plupart des cas contrôler la situation ou du moins limiter les dégâts. »
Face-au-Conflit : Bonjour Mon Colonel, pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît?
Je suis depuis 6 ans chef du centre de secours principal de Nîmes. J’ai 45 ans.
Face-au-Conflit : Quel a été votre parcours, vos Formations ?
Avant ce poste j’étais adjoint puis chef du centre de secours principal d’Alès (6 ans au total). J’avais effectué avant de venir dans le Gard 5 ans au Corps de la Communauté Urbaine de Bordeaux. J’ai toutes les formations afférentes aux différents grades d’officier de sapeur-pompier. J’ai un diplôme d’ingénieur.
Face-au-Conflit : À travers vos formations, vos expériences, comment abordez-vous la résolution des conflits et des agressions ?
Mes premiers contacts avec la gestion des conflits et agressions remontent à ma période à Bordeaux où plusieurs agressions de collègues m’avaient marqué. J’ai le souvenir d’une intervention pour « personne ne répondant pas aux appels » où les collègues ont été retenus par un individu armé qui les mettait en joue menaçant de les exécuter. Ils étaient restés bloqués pendant plusieurs dizaines de minutes sans pouvoir demander de l’aide, pour certain à genou avec le pistolet sur la tempe. Lors d’une autre intervention un collègue conducteur d’une ambulance s’était vu tirer au visage au pistolet à grenailles par un motard qui s’était considéré victime d’un refus de priorité. Il avait poursuivi l’ambulance jusqu’aux urgences et quand le conducteur est descendu du véhicule il a ouvert le feu à quelques mètres. Il m’est clairement apparu que nous n’étions pas du tout préparés à ce type d’intervention, mais qu’en plus au niveau de l’encadrement nous n’étions pas formés pour gérer ce type de crise. J’étais très marqué par les conséquences de ces traumatismes sur mes collègues notamment un qui a traversé une longue période de dépression alors que c’était un costaud, un pompier aguerri.
Ainsi à mon arrivée sur Alès j’ai eu l’occasion avec quelques collègues de réfléchir aux situations de violence auxquelles sont exposés les sapeurs-pompiers. Nous avons profité de l’encadrement d’un groupe de 30 jeunes recrues pour tester sur eux notre programme. Depuis 10 ans on le fait progresser. Cette session de Gestion de Situation de Violence (GESIVI) est basée sur la mise en situation au plus près de la réalité. Nous simulons les situations les plus simples avec un équipage classique à l’ambulance de 3 SP (sapeurs pompier) jusqu’aux interventions de violences urbaines avec caillassage. Ainsi les personnels sont formés à réagir dans un contexte de violence, mais également apprennent à mieux se connaître lors d’agression. Les résultats ont été probants dès le début ; j’étais étonné que des simulations permettent de plonger les équipages dans des réactions très proches de la réalité avec des états de stress élevés.
En parallèle concernant mon rôle d’officier, les différentes situations que j’ai eu à gérer où mes gars avaient subi des violences nous ont permis de mettre au point une sorte de protocole de réaction :
- Dès que possible, se rendre au contact de l’équipage victime de violence.
- Dès le retour au centre, organiser le débriefing (que les psys qualifient de défusing)
- Organiser l’assistance de l’équipage par un psychologue
- Suivre l’évolution de l’équipage
- Déposer systématiquement plainte.
Face-au-Conflit : Pensez-vous qu’avoir une expérience opérationnelle est un avantage pour la gestion des situations de crise ?
L’expérience opérationnelle apporte beaucoup, car on fait évoluer sa façon de traiter l’évènement par rapport à ce que l’on a vécu. J’ai réalisé par l’expérience, l’importance pour l’agent agressé d’être pris en compte par sa hiérarchie. C’est un point primordial dans le traitement post-incident.
Concernant la prévention, on travaille sur les techniques d’intervention adaptées et surtout sur la prise en compte du risque. Aussi inadmissible que cela puisse paraître il faut rester connecté avec la réalité et intégrer que la violence fait partie des risques du métier de sapeur-pompier. On insiste sur la vigilance, car il est possible dans certains cas d’éviter la situation ou de la désamorcer rapidement. Mais cela suppose une réaction fine de la part du chef d’agrès notamment, et il nécessaire qu’il soit formé.
Face-au-Conflit : Avez-vous une méthode pour résoudre un conflit ?
Nous n’avons pas de recette de cuisine, mais des grands principes d’interventions qui reposent sur le bon sens opérationnel et des mesures de protection. Ensuite à travers la formation Gesivi, on transmet une approche générale qui a le mérite également de provoquer un débat avec les stagiaires. Quelque part à travers les techniques c’est aussi un travail personnel qui s’amorce, car l’on se rend compte que certaines personnes sont plus fréquemment soumises à actes de violence que d’autres. Il y a donc un travail sur l’approche « psychologique » des situations. Le sapeur-pompier dans sa position de soignant ne s’attend pas à recevoir de la violence.
Face-au-Conflit : a contrario, lors d’une crise que ne faut-il absolument pas faire ?
Pour nos équipages, le premier objectif c’est d’éviter de se trouver dans une situation de crise. Si on ne peut l’éviter, le premier objectif est de ne pas céder à la panique afin de pouvoir prendre des décisions cohérentes et s’adapter au contexte. Chaque situation est différente. Céder à la peur c’est souvent répondre à la violence par la violence et l’on ne sait pas où çà s’arrête
Face-au-Conflit : Pourquoi est-ce important de se former à la gestion des situations de crise dans le milieu de l’assistance à personne ?
Nous sommes de plus en plus fréquemment exposés à la violence notamment en milieu urbain. Se préparer permet de réagir au mieux, mais aussi de limiter les conséquences sur nous de cette violence. Bien formés on peut dans la plupart des cas contrôler la situation ou du moins limiter les dégâts.
Face-au-Conflit : Quelles formations conseilleriez-vous à nos lecteurs ?
Pour les sapeurs-pompiers il faut des formations spécifiques adaptées et surtout encadrées et réalisées par des sapeurs-pompiers. Il ne s’agit pas de self-défense, mais de techniques opérationnelles adaptées. Il faut donc avant tout connaître et pratiquer le métier de sapeur-pompier.
Face-au-Conflit : Si le lecteur ne devait retenir qu’une seule chose, quelle serait-elle ?
Il n’y a pas de surhomme et en cas d’agression tout le monde a peur. Il faut donc se préparer à réagir avec cette peur. C’est çà le plus difficile.
Merci Laurent!