Michel St-Yves: Comment trouver les mots pour sauver des vies

Michel St-Yves: Comment trouver les mots pour sauver des vies

Pour cette première interview de l’année, j’ai l’immense honneur et le plaisir de recevoir Michel St-Yves, Psychologue Judiciaire au Module des sciences du comportement à la Sûreté du Québec (Canada).

« Il faut parfois donner plus qu’on ne reçoit et ne jamais perdre de vue qu’une vie est une vie. »

Michel St-Yves

Bonjour Michel, pourriez-vous vous présenter s’il-vous-plaît ?

Je suis psychologue judiciaire au Module des sciences du comportement à la Sûreté du Québec. Je participe aux enquêtes criminelles, aussi bien pour établir le profil psychologique d’un suspect que pour préparer les entrevues d’enquête. Je fais également partie de l’équipe d’intervention en situation de crise (crisis negotiation team) et mon rôle consiste à conseiller les policiers-négociateurs et les commandants lors de prises d’otage et de situations à risque élevé de suicide/homicide (individus retranchés et menaçant de s’enlever la vie ou de s’en prendre à autrui). J’enseigne également la psychologie de l’interrogatoire et la négociation en situation de crise à l’École nationale de police du Québec (et à l’international) et je suis chargé de cours à l’École de Criminologie et à la FEP de l’Université de Montréal. Je suis l’auteur de plusieurs articles scientifiques et livres, dont «Les entrevues d’enquête : l’essentiel» (2014); Psychologie de l’intervention policière en situation de crise (2011) et «Psychologie de l’enquête criminelle : la recherche de la vérité» (2007), publiés chez les Éditions Yvon Blais (Montréal).

Quel a été votre parcours ? Vos Formations ?

C’est un parcours plutôt atypique. J’ai d’abord travaillé comme psychologue plusieurs années en milieu carcéral, à l’évaluation de la dangerosité criminelle, puis je suis allé à la Sûreté du Québec au début des années 2000 pour participer au développement d’un service de support spécialisé en enquête criminelle : qui allait devenir le Module des sciences du comportement. J’y suis depuis ce temps. Ma formation de psychologue judiciaire (dit aussi psychologue de l’enquête) est un amalgame de formations spécialisées dans divers domaines des enquêtes criminelles : profilage criminel (enquêtes d’homicide, agressions sexuelles, incendies criminels, fraudes, etc.), évaluation du risque et de la menace, auditions d’enquête, évaluation de la crédibilité, etc. J’ai également participé à plusieurs formations et séminaires sur la négociation en situation de crise. Mon premier contact avec ce thème a d’ailleurs été Christophe Baroche, qui a été psychologue au RAID dans le groupe de négociateurs pendant de nombreuses années. Le plus expérimenté de tous ceux que j’ai rencontré dans ma carrière. Notre collaboration est devenue une grande amitié toujours présente 20 ans plus tard. 

Pourriez-vous nous expliquer les grands principes de votre approche sur la gestion des conflits ?

Il faut d‘abord comprendre que nos interventions se font auprès de personnes en crise qui représentent toujours un risque imminent de suicide et/ou d’homicide.

Notre philosophie d’intervention est la résolution par le dialogue. Nous privilégions toujours cette voie lorsque cela est possible. Le commandant, le groupe tactique et les négociateurs travaillent tous ensemble, avec ce même objectif. 

Nous avons développé un modèle (le modèle SINCRO) basé sur une meilleure compréhension des étapes d’une crise, et qui permet de désamorcer ces situations en utilisant une arme redoutable et très efficace : la communication. L’intervenant accompagne la personne en détresse selon le rythme de sa crise. Cela permet de réduire considérablement le nombre de personnes blessées ou tuées lors de ce genre d’intervention (aussi bien du côté des policiers, otages, que forcenés). Nous avons d’ailleurs un taux de redditions volontaires de plus de 80%.

Quelles sont les étapes pour réussir sa négociation ?

Il faut adopter un modèle d’intervention reconnu pour éviter l’improvisation. Il faut également comprendre la détresse de l’autre (se sont souvent des personnes intoxiquées et/ou qui ont des troubles mentaux) et intervenir en fonction de la perception que l’autre a de ses difficultés, et non selon notre perception. Ensuite, il faut être patient et souple, dans le sens d’ouverture, sincère et respectueux de l’autre. Il faut parfois donner plus qu’on ne reçoit et ne jamais perdre de vue qu’une vie est une vie. Peu importe qui est cette personne et ce qu’elle a fait.  Il faut aussi évaluer et réévaluer constamment les facteurs de risques afin de s’assurer que la négociation est toujours la meilleure option.

Que faut-il éviter de faire lors d’une crise ?

Ne jamais tomber dans le piège des jeux de pouvoir et de l’escalade, ni prendre des décisions impulsives (impatience) ou sous l’effet de la fatigue ou de pressions externes. Parfois, la meilleure intervention est de ne rien faire (ou ne rien dire). Une pause peut permettre aux esprits échauffés de se calmer et de devenir plus rationnel et réceptif. Il ne faut également jamais sous-estimer ou banaliser les facteurs de risque.

Selon vous, quelles sont les compétences à développer pour mieux réagir lors d’une situation conflictuelle ?

Avoir une bonne écoute, être empathique, calme, ouvert et humble.

Pour conclure, quel serait l’élément le plus important à retenir pour le lecteur ?

La négociation est un processus de communication et d’échanges entre au moins deux personnes… et que cela se fait dans la réciprocité. Le vrai succès d’une négociation lors d’une situation de crise réside dans la poignée de main qui s’ensuit… et dans le nombre de vies sauvées.

Merci Michel !

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